Les moyens de limiter les risques :
Source : CE-T1-Marc-Givry-Christophe-Peteuil-Guide-construire-torrent
Protection passive
La principale finalité des mesures de défense passive consiste à mettre les enjeux socio-économiques à l'abri
des effets, parfois dévastateurs, des crues torrentielles. Ces mesures, qu’elles aient recours ou non à la construction d’ouvrages, conduisent notamment à :
• forcer les matériaux solides transportés par les crues torrentielles à se déposer dans des dispositifs situés
à l'amont des zones à protéger,
• favoriser le transit des écoulements, déchargés ou non de leur transport solide, au travers des zones exposées,
• réglementer l’occupation des sols en tenant compte des aléas prévisibles,
• réduire la vulnérabilité du bâti existant,
• assurer une surveillance du bassin versant et déclencher si nécessaire une procédure d’alerte auprès des
riverains exposés.
Ces techniques se sont largement développées lors de la période contemporaine, notamment pour s’adapter à
l’évolution récente de l’occupation des territoires montagnards et pour répondre à de nouvelles exigences
économiques et sécuritaires.
1 ) "La forteresse imprenable":
La première stratégie, "la forteresse imprenable", est sans doute la plus efficace et on se doit de la recommander, tout particulièrement pour les bâtiments neufs.
Avec une telle stratégie, l'intérieur reste à l'abri et les seuls dégâts à prévoir sont des souillures de l'enveloppe et éventuellement des dégradations des ouvrages extérieurs.
Pour une telle stratégie, il faut toutefois signaler que, si pour des constructions courantes une résistance satisfaisante peut raisonnablement être envisagée, une "parfaite étanchéité" est plus difficile à réaliser : en général cela nécessite des ouvrages très spécifiques d'étanchéité ou de cuvelage qui sont assez coûteux.
2) "La défense à distance" :
La seconde stratégie, "la défense à distance", peut être intéressante, tout particulièrement pour des bâtiments existants qui seraient non résistants et difficiles à conforter, mais elle n'est pas toujours praticable. En effet, elle suppose d'une part d'avoir de la place, mais surtout de ne pas aggraver le risque chez les voisins.
De la sorte, cette stratégie nécessite bien souvent d'être étudiée d'une manière collective, et nous en reparlerons plus particulièrement dans le chapitre consacré aux réflexions d'urbanisme.
4) "La part du feu"
Cette dernière stratégie, "la part du feu" (ou plutôt "la part de l'eau") n'est jamais à négliger. En effet, pour beaucoup de constructions existantes, c'est parfois la seule envisageable. En particulier, pour des bâtiments dont la résistance au soulèvement serait insuffisante, une inondation "contrôlée" est parfois la seule issue.
Mais même pour des bâtiments "imprenables" ou "défendus à distance", elle doit être considérée. En effet, malgré toutes les précautions prises, les forteresses imprenables peuvent être un jour envahies et les défenses avancées submergées. Il importe donc d'en limiter les effets.
Pour se faire, on peut envisager de se préoccuper :
• de l'utilisation des espaces intérieurs
• des dispositions d'évacuation ou de mise à l'abri des personnes
• des conséquences d'un éventuel envahissement
Utilisation des espaces intérieurs :
Ce point est du ressort du bon sens (et surtout de la prise de conscience du risque) : il est évident que dans l'usage intérieur d'un bâtiment, il vaut mieux mettre en première ligne les locaux où on stationne le moins et dont le contenu est le moins précieux. Par exemple, dans bien des règlements, on recommande souvent de disposer contre les parois exposées les pièces généralement occupées pour de courtes durées, telles que les couloirs de circulation, et d'implanter les séjours et les chambres dans les lieux les moins exposés. De même, dans l'utilisation des niveaux, on prescrit souvent que le premier plancher habitable des constructions soit situé au-dessus du niveau d’écoulement de référence.
Au début du XXI° siècle, pour construire en montagne et faire face aux risques torrentiels, on peut comme par le passé invoquer les
Dieux, les Saints ou rêver de "l'extinction des torrents". Mais on peut aussi tirer parti de l'expérience accumulée et des connaissances qui petit à petit se sont établies, expérience et connaissances que l'on peut brièvement résumer ici.
Tout d'abord, on doit signaler que le risque torrentiel, qui a été de tout temps le risque majeur en pays de montagne, est un risque prévisible que l’on peut cartographier et que l'on est maintenant capable ’étudier. Pour un torrent donné, on sait dire qu'il n'est pas improbable que sur une période de 30 ans, on puisse avoir une coulée de tant de milliers de m3 , dont l’extension aura telles limites.
En revanche, on ne sait pas encore dire que cette coulée aura lieu demain dans la matinée, ou après demain en soirée.
Par ailleurs la faible densité des réseaux de suivi hydrométéorologique en montagne rend quasiment impossible la mise en place d’un dispositif d’alerte efficace permettant la mise en sécurité préalable des populations. De plus, cette situation est notablement compliquée par le caractère brutal et rapide des phénomènes torrentiels. Il s’agit donc d’un risque pour lequel toute prévision en temps réel n'est pour l'instant pas possible.
Ne sachant pas prévoir, il faut donc prévenir. Au XIX° siècle, on a pensé que l'on pourrait régler le problème à la "source" par des travaux de correction adéquats et une œuvre considérable a été réalisée. Mais à la fin du XX° siècle on s'est rendu compte que même avec des travaux colossaux on ne pourrait pas faire face par des protections collectives à toutes les situations. Cette prise de conscience a été générale dans tout l'arc alpin. De surcroît, et vu le réchauffement climatique en cours, beaucoup pensent qu’une évolution de la pluviométrie et du régime des crues des bassins versants de montagne est inévitable, cette évolution pouvant se traduire par une aggravation des crues hivernales et des crues de fonte au printemps, de même que par une mobilisation accrue des matières solides en haute montagne, notamment sous l’effet du recul des glaciers et du dégel du permafrost (sols gelés). Ce guide contribue donc à une nécessaire adaptation au changement climatique.
Pour l'instant toutefois, les éléments de connaissance disponibles ne remettent pas en cause les ordres de grandeur des phénomènes à prendre en compte mais surtout les fréquences d'apparition.
L'extension indéfinie des zones constructibles sans prise en compte des risques, la collectivité étant chargée ultérieurement des travaux de protection nécessaire, n'est donc plus à l'ordre du jour. Pour toute démarche d'urbanisme en montagne, il faudra donc réapprendre à vivre et à composer avec les torrents, en gardant toutefois à l'esprit que :
1. toujours, les torrents ont débordé et déborderont
2. jamais, les hommes n'ont abandonné et n'abandonneront certains
sites qu'ils occupent depuis bien longtemps
Dans ces conditions se préoccuper de la résistance des constructions, face à un risque qui est quand même peu fréquent est une démarche qui reste pertinente. Grâce aux catastrophes passées et surtout aux "retours d'expérience" dont les services ONF-RTM sont depuis plus d'un siècle la mémoire, l'impact des torrents sur les constructions peut être correctement apprécié en termes qualitatifs, on pourrait presque dire en termes "naturalistes".
Par contre, une quantification précise des efforts à prendre en compte n'est pas encore établie et pour l'instant on ne dispose pas de normes ou de règles de calcul faisant autorité sur la question, comme il peut en exister par exemple pour les séismes à l'échelle européenne dans le cadre des "Eurocodes".
Pour ce qui concerne la quantification des sollicitations, il semble que la démarche la plus avancée soit celle des établissements cantonaux d'assurances suisses, à laquelle on peut conseiller de se référer.
Pour ce qui concerne les réponses constructives envisageables, on dispose d'une large palette de solutions avec les techniques habituelles des ouvrages de bâtiment. On peut toutefois signaler que si le problème de la résistance des murs pleins est assez facile à régler, le problème des ouvertures est plus délicat. D'autre part, le problème des fondations doit être étudié avec soin, l'affouillement des fondations tant presque toujours la cause des destructions constatées.
Si pour des ouvrages neufs, on dispose de réponses constructives adaptées, le renforcement des bâtiments existants reste encore un réel problème. Dans tous les cas, par delà les aspects réglementaires ou normatifs, la réponse aux risques torrentiels n'implique pas des démarches de conception compliquées : pour un constructeur normalement compétent, une bonne appréhension du risque et un peu de bon sens peuvent largement suffire. Dans cette optique, on ne peut que conseiller de travailler en envisageant tous les "scénarios de danger" possibles.
L'histoire tumultueuse des hommes et des torrents n'est sans doute pas encore terminée, mais nous ne voulons pas clore cet ouvrage sur une tonalité qui serait par trop négative. Les torrents, risques, dangers ou fléaux, certes. Mais aussi mythe, et mythe quasiment homérique. En effet, il faut rappeler qu'Homère, avant de s'appeler Homère s'appelait Mélésigène (engendré par Mélès).C'était en effet le fils de Mélès, le dieu du torrent, et de la nymphe Krithéis.